La carrière souterraine de la Vesciat dit “grotte de la Vesciat”

Une carrière dans quel terrain encaissant ?

Le terrain de jeux de Nature-vivante, entre Rhône à l’ouest, Bièvre-Valloire au sud et Terre-froide au nord-est, est géologiquement structuré par une formation molassique du Miocène (ére tertiaire) recouverte par endroit d’un cailloutis (Bonnevaux) post-Miocène et par ailleurs de dépôt morainiques des dernières glaciations butant sur les prémices cristallines du massif-central (Vienne) de l’ère primaire.

Vous avez dit « molasse »

Il s’agit d’un sable lié par un calcaire argileux. Roche détritique, elle a été déposée par des rivières à la fin de l’ère tertiaire il y a 7 millions d’années. Ces cours d’eau ont déposé ces sédiments provenant de l’érosion des Alpes en formation, dans une mer qui longeait cette nouvelle montagne, du Bas-Dauphiné jusqu’à Vienne en Autriche ! Dépôt fluviatile de type deltaïque, les éléments fins se sont sédimentés dans les différents lits du delta en couches inclinées. A la fin de cet épisode de comblement du delta, des cours d’eau ont remanié la surface des alluvions et en n’abandonnaient plus que les matériaux les plus grossiers apportés par les crues qui donneront le conglomérat.

Sur le chemin qui conduit à la Vesciat, si vous êtes attentif, sur les bords du chemin, vous foulerez du pied une plage fossile du Miocène (banc de St Fons -17 /-20 MA-) dans laquelle débris de piquants d’oursins, de balanes, de coquillages égailleront votre curiosité.

Un biotope qui n’est pas fait pour les mollassons

Si ce type de formation géologique forme plutôt des pentes douces. La présence du dur conglomérat dans la partie sommitale protégeant le grès tendre dessous casse cette mollesse du paysage en créant des vallées à allure de petits canyons. Les surplombs ainsi créés en font un site de choix pour les Hiboux Grand-Duc. Ainsi près de ces carrières de la Vesciat un couple est suivi depuis 2001. 1 à 3 jeunes à l’envol ont été remarqués chaque année.

                                                                                              Exemple de site de nidification du Hiboux Grand-Duc

La surface tendre de la molasse permet aux animaux cavernicoles de creuser des cavités pour y nicher.

Par exemple le Guêpier d’Europe, oiseau migrateur multicolore nous revenant en mai. Mais aussi, tout un cortège d’espèces d’abeilles solitaires (au contraire de l’abeille domestiques vivant en colonie) dont l’investissement pour la pollinisation est encore plus important et est souvent oublié dans les débats actuels. 

L’Homo-Sapiens est aussi troglophile

Cavernicoles aussi, les hommes ne sont pas en reste. Depuis les temps préhistoriques, ils s’en sont servis pour s’abriter dans des maisons troglodytes comme à Châteauneuf-sur-Isère. Puis du moyen-âge à la fin du 19° siècle, des bancs les plus durs de cette molasse des pierres à bâtir ont été extraites formant des carrières à ciel ouvert ou souterraine. Plus proches des villes et villages à bâtir, plus facile à tailler que le granite du massif central et les calcaires du Vercors voisin, il devint le matériau local de prédilection. Il est utilisé dans les encadrements de portes et fenêtres des maisons traditionnelles en pisé jusqu’au références plus prestigieuses : cathédrale Saint-Maurice de Vienne et Saint-Apollinaire de Valence, le château de Roussillon ou la collégiale St-Barnard de Romans. Le revers de la médaille, ce matériau facile à extraire qui durcit à l’air libre vieillit mal. Sa surface se desquame et les restaurateurs doivent employer des recettes savantes de mortier à base de chaux et de ciment naturel pour le réparer.

Là où l’érosion l’a dégagée des dépôts des glaciations comme dans les vallées creusées par les rivières de Bas-Dauphiné, cette molasse apporte des milieux bien spécifiques (des prairies sèches aux pelouses xériques), synonymes pour notre secteur, d’une richesse floristique étonnante. En effet, la molasse, matériau plutôt de “tendance calcaire” donne des sols très drainant. Ajoutez-y une bonne pente, une bonne exposition méridionale et l’action défrichante de l’homme (milieux ouverts de pleine lumière) et vous vous retrouvez avec une multitude d’espèces de plantes friandes de ces conditions, dont les plus remarquables sont les Orchidées dont le secteur Viennois en accueille une quarantaine d’espèces. Et qui dit fleurs, dit aussi insectes dont l’Ascalaphe et l’Azuré du Serpolet sont les plus emblématiques de ces zones.

                                                                                                       Cephalanthera rubra

La carrière souterraine de la Vesciat

Située sur la commune de Ville-sous-Anjou dans un vallon boisé où coule un ruisseau temporaire, cette carrière souterraine est bien cachée. Cette discrétion apporte la quiétude nécessaire aux chauves-souris. Le site se caractérise par une succession de cinq salles parallèles plus ou moins longues. Trois d’entre elles sont en contact avec l’extérieur par l’intermédiaire d’un porche. Toutes communiquent entre elles ; une chauve-souris peut ainsi se déplacer dans toutes les salles sans sortir à l’extérieur.

Un gîte idéal pour nos amis qui ne sont pourtant ni chauves ni souris

La salle la plus éloignée des entrées à une température constante de 11 à 12°C, été comme hiver (mesures d’Avril 2000 à Octobre 2001). Ces conditions de température constante, d’hygrométrie élevée, d’éloignement des pollutions lumineuses et de tranquillité répondent aux exigences biologiques des Chiroptères pour hiberner. Du fond des salles jusqu’à l’entrée tous les températures intermédiaires sont présentes. Chaque espèce peut donc choisir sa préférence thermique pour s’accoupler, mettre à bas, ou tout simplement faire une petite sieste la tête en bas.

La communauté des chiroptères

 Autrefois, une colonie de reproduction, uniquement constituée de femelles gestantes, s’était installée depuis suffisamment longtemps pour que le tas des déjections accumulées (guano) atteigne en hauteur 50 cm de haut pour 1 m2. Il a été estimé que nous avions à faire à une grande espèce, le Grand Murin (40 cm d’envergure),  qui glane au sol de gros coléoptères non volants, des sauterelles, des criquets…

                                                                                                                                   Grand Murin

Mais, c’est un temps révolu, conséquences du dérangement mais peut-être aussi de l’évolution des milieux car les abords de la colonie, initialement des prairies sèches (milieux ouverts), sont maintenant devenus des chênaies pubescentes (milieux fermés).

Depuis les premières observations dans les années 70, ne sont donc réalisés, et principalement en période d’hibernation, que des contacts fugaces avec un petit cortège d’espèces de Chauves-Souris sur les 34 présentes en France (toutes les espèces sont protégées). Cependant, par des visites régulières, toutes périodes confondues, ces carrières sont utilisées très régulièrement par les espèces en transit dont le passage récent est trahi par les reliefs d’un repas de paillons nocturnes et quelques crottes fraîches… La disponibilité de ces lieux est donc indispensable et le Grand Rhinolophe ne s’y trompe pas, pour qui, entre le gîte d’été et le gîte d’hiver, une distance de plus 5 km ne doit pas être dépassée.

Les dernières espèces vues par ordre importance du nombre de contacts :

le Grand rhinolophe,

                                                                                                                                        Grand rhinolophe

 le Murin de Natterer,  les Oreillard sp,

                                                                                                                                           Oreillard sp

les  Murins “dits de grande taille”, Le Murin à oreilles échancrées (très menacé en France), la Barbastelle (espèce forestière rarement vue en cavité), la  Sérotine bicolore.

Un site suivi depuis plus de 40 ans

Connu depuis les années 70 par les naturalistes locaux du GNVR (Groupe des Naturalistes de la Vallée du Rhône) ce n’est qu’en 1988 qu’a été entreprise une action visant à sa protection. En 1989 la FRAPNA Isère a acquis cette carrière grâce à la mobilisation de donateurs privés. Puis le site a été débroussaillé en 1991. En 1995, la clôture du site a eu lieu afin d’en assurer sa tranquillité en limitant la pénétration humaine ainsi que son inauguration, en présence de la mairie de Ville sous Anjou et des habitants. Le site porte le nom de Dominique Moulin, jeune naturaliste isérois, décédé accidentellement lors d’une prospection dans un site à chauve-souris.

Le GNVR et Gère-Vivante ont régulièrement procédé au comptage des espèces. La gestion a été confiée au CEN-Isère par convention en 2006. 

Conscients de l’intérêt de ce site dans une région où les cavités sont rares, Nature-Vivante et CEN-Isère en ont fait un lieu de paix pour dormir tranquille la tête en bas et les pieds dans les étoiles….

 

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