Fin janvier ouvre la période de la migration prénuptiale qui se poursuit jusqu’à la moitié du printemps, le “pic” migratoire se situant de fin mars à début avril. Dans notre région, les oiseaux d’eau remontent vers le nord le long de la vallée du Rhône. Ils empruntent ainsi un des trois corridors aériens du département de l’Isère. Cette voie aérienne d’importance internationale canalise les flux migrateurs transeuropéens. De leur altitude de vol, les oiseaux migrateurs repèrent facilement les pièces d’eau qui telles des miroirs reflètent la lumière.
Un site géologique, témoin des lointaines glaciations
Lors d’un automne et d’un hiver pluvieux, des dépressions retiennent l’eau comme au lieudit « Le Lac » à Ville-sous-Anjou sur la route d’Assieu (également appelé Flaque d’Assieu). Cette inondation temporaire peut durer dans le meilleur des cas jusqu’au début de l’été.
Cette cuvette d’environ 2 hectares est un témoin des puissantes glaciations qui atteignirent le Rhône venant des Alpes, probablement en extension du glacier de la Bièvre-Valloire.. Lors de sa fonte, il y a plus de 100 000 ans, le glacier laissa sur place des lentilles de glace emprisonnées dans les dépôts morainiques. Celles-ci fondirent au cours du temps et créèrent un vide. Ce vice provoqua l’effondrement de la surface du terrain, créant cette dépression. Elle est appelée doline glaciaire ou kettle.
Chose rare pour ce type de formation géologique, la doline glaciaire du « Lac » de Ville-sous-Anjou est située en plaine et bénéficie d’une parfaite visibilité, . L’apport de lœss, important sur le plateau de Louze, est plus tardif. Cette terre limoneuse est issue des régions périglaciaires et fut transportée par le vent. Ce dépôt a complété l’imperméabilisation de cette cuvette et a fertilisé la plaine environnante. En effet, ce dépôt de lœss est conséquent car il n’a pas été érodé comme dans les vallées attenantes.
Une escale et un repos pour la faune
Les oiseaux d’eau migrateurs n’ont que faire de ces définitions mais considèrent ce site comme une étape stratégique de repos et d’alimentation. Le visiteur peut alors repérer des canards de surface comme le Canard colvert, la Sarcelle d’hiver et d’été, et des limicoles (Echasse blanche, Bécassine des marais,…). Par ailleurs, le Lac étant devenu la seule zone prairiale de ce plateau, d’autres migrateurs au long cours comme la Grue cendrée et les petits passereaux tels le Tarier des prés ou la Bergeronnette printanière y trouvent également un havre temporaire.
Les meilleures années, quand l’inondation se prolonge sur les marches de l’été, Poules d’eau et Canards colvert y nichent. Ils croisent les amphibiens du secteur, la Grenouille agile mais aussi le Crapaud calamite qui, lui, plus adepte des milieux humides temporaires, en fait son aubaine.
Une flore protégée
Une plante protégée en Rhône-Alpes, véritable fossile vivant, associée aux fougères, y a été aussi découverte : l’Ophioglosse ou Langue de serpent. Son unique “feuille” est composée d’un limbe ovale et d’un épi de sporanges lui donnant l’aspect d’une langue de serpent d’où ce surnom.
L’Orchis à fleurs lâches y fut un temps présente. Elle doit son nom à l’aspect de l’inflorescence. Sa floraison très contrastée (d’un rouge-violet foncé avec la partie centrale blanche et non maculée) a lieu vers la Pentecôte.
La découverte du lac de Ville-sous-Anjou et sa protection
Ce site a été repéré dans les années 70 par le GNVR (Groupe des Naturalistes de la Vallée du Rhône). Cette association fut créée sous la houlette de Guy Flacher (décédé en 2002), naturaliste roussillonnais d’origine et rhodanien de cœur, à l’origine également de la création de la réserve naturelle de l’ile de la Platière. Soucieux d’en préserver l’existence, dès 1975, le CORA (Centre Ornithologique Rhône-Alpes devenue la LPO région) établissait un bail avec les propriétaires.
Au début des années 80, devant le projet de voir s’installer un ferrailleur sur la petite parcelle contigüe la reliant à la route, la Frapna-Isère en faisait l’acquisition.
Prenant le relai du GNVR depuis sa dissolution au début des années 2000, Nature Vivante intervient sur cette dernière parcelle pour en maintenir l’aspect prairial. On y met en place la pratique des fauches tardives (automne) pour permettre aux végétaux comme à la petite faune des insectes (papillons…) ou des rongeurs (le Rat de moissons par exemple) de boucler leur cycle de reproduction. Par ailleurs, cela maintient le milieu ouvert en bloquant l’avancée des ligneux comme le prunellier et autre bourdaine.
Pour maintenir la meilleure visibilité vue du ciel et donc son attractivité pour les oiseaux, Nature Vivante intervient aussi régulièrement pour le contrôle de la végétation afin que les haies ne cernent pas trop cette zone humide.
Cette zone est classée depuis 2009 en ZNIEFF (Zone Naturelle d’Intérêt Ecologique, Faunistique et Floristique Continentale de type 1, Le lac des Brosses, Identifiant national : 820030536).
Tenaces et conscients des enjeux de la biodiversité, depuis 42 ans les naturalistes œuvrent pour maintenir l’originalité géologique, floristique et faunistique de ce site.